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REFLEXIONS HÉRÉTIQUES SUR UN TOURNANT HISTORIQUE

Peut-on porter un jugement objectif concernant une thèse de doctorat à la base d’un article qui le résume? Du point de vue professionnel ceci devrait-être évité le risque étant trop grand de tomber dans l’arbitraire. Or, quand une recherche scientifique récente analyse un événement historique lourd de conséquences qu’était le Deuxième concile du Vatican, la tentation de transgresser ce principe devient irrésistible. La raison (ou l’excuse) : elle pousse à la réflexion.


Claire Maligot : « Le tournant : Vatican II dans les relations interreligieuses – Entre théologie, diplomatie, mémoire et militantisme (fin des années 1940 – début des années 1970) »

Compte-rendu


Pour Claire Maligot, actuellement attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques de Strasbourg, le défi n’était pas moindre. Sa thèse préparée grâce au soutien de la fondation pour la mémoire de la Shoah de Paris se focalise sur l’émergence de la diplomatie inter-religieuse et suit son évolution depuis la Seconde guerre mondiale jusqu’au Second concile du Vatican. Le titre, ("De la lutte contre l’antisémitisme au dialogue inter-religieux. Émergence d’une diplomatie inter-religieuse, de la Seconde Guerre mondiale à Vatican II (fin des années 1940 - début des années 1960“) - indique clairement l’enjeu idéologique qui en était le moteur. Depuis presque deux mille ans un peuple entier – juif – était stigmatisé par les églises chrétiennes, de déicide. Rien de surprenant que c’étaient des organisations mondiales juives qui se sont engagées à amener le Concile de réviser ce dogme. Le long chemin qui allait aboutir à sa réalisation réside au centre de l’analyse de Claire Maligot qui a, à cet effet, effectué des recherches dans les archives de sept pays.


Le résultat était ce tournant même que Claire Maligot désigne dans le résumé de sa thèse. Elle intitule d’ailleurs celle-ci comme : « Le tournant : Vatican II dans les relations interreligieuses – Entre théologie, diplomatie, mémoire et militantisme (fin des années 1940 – début des années 1970) ». Ce titre met en avant la complexité du thème que l’auteure tente d’analyser non seulement par l’application des méthodes propres à la science historique, mais aussi de celles du ressort de la sociologie, de la politologie ou du domaine religieux. Un récit riche en informations sur les structures et les personnages impliquées dans cet événement est ainsi mis en place. Sa valeur est d’autant plus grande qu’elle est fondée sur une documentation abondante dont une grande partie était jusqu’à présent inconnue, surtout celle qui relate l’attitude des communautés non-chrétiennes envers le Concile.


Cependant le contexte des relations internationales de l’époque et des aspirations hégémoniques américaines ne parait pas être suffisamment pris en considération. Pourtant l’auteure ne semble pas avoir ignoré ce fait. Elle mentionne que les États-Unis avaient considéré les alliances interconfessionnelles « à l’appui d’un système de valeurs politiques libérales pour faire un article d’exportation » ainsi que d’ériger « un front commun des religions contre le communisme » ! Cette phrase condensée dit l’essentiel sur les dessous-des-cartes du Vatican II. Toutefois, l’auteure ne s’enfonce pas dans la recherche du rôle de cet élément pourtant décisif dans toute l’histoire non seulement du Concile mais des relations américano-vaticanes mais se concentre plutôt sur le rôle des grandes organisations juives mondiales, telles l’Anti Defamation League (ADL), le World Jewish Congress (WJC) et le American Jewish Council (AJC). Or, comme celles-ci sont basées aux États-Unis, a du mal à discerner qui était à l’origine de la politique américaine envers le Vatican : le lobby juif ou bien l’administration US ? Quoi qu’il en soit, leur activité suit la même direction. La lutte contre l’antisémitisme était dans l’intérêt aussi bien des lobbies juifs que du gouvernement américain afin de justifier leur présence économique, militaire et politique en Europe et la sauvegarde de l’État d’Israël afin de contrôler le Moyen-Orient qui semblait glisser dans l’orbite soviétique. Mais si les Soviétiques considéraient le Vatican comme quantité négligeable du point de vue militaire (« combien de divisions a le pape » ?) les États-Unis ont tôt reconnu l’importance du Saint-Siège et l’avaient soudoyé par ses agents. Il est à noter que la plupart des chefs de la CIA étaient réputés comme des catholiques fervents. Apparemment, les USA s’efforçaient de retenir le Vatican dans leur orbite afin de pouvoir l’utiliser dans la déstabilisation idéologique du communisme. Mais, d’autre part, ne redoutaient-ils pas aussi d’avoir affaire à une organisation religieuse internationale qui, par la puissance de son influence morale et confessionnelle, pouvait contrecarrer les intérêts américains ? Apparemment Washington voyait dans la réforme de l’église catholique le meilleur moyen pour la déstabiliser, de briser son union en l’atomisant à la base des langues nationales et la réduisant à l’état des églises protestantes aux USA afin de la mettre au pas. On peut suivre la concrétisation de cette initiative dès la disparition du pape Pie XII compromis par son mutisme envers l’Holocauste et l’avènement du pape Jean XXIII. Ce dernier, avait-il agi da sa propre initiative pour convoquer le Concile ou bien lui a-t-on « soufflé » de le faire ? L’affaire était délicate car le changement de rite, de langue de la prière, du dogme de l’infaillibilité du pape menaçait n’allait pas tarder à provoquer le schisme. L’engagement en faveur de l’ouverture de l’Église envers ses consœurs ainsi que d’autres religions n’allait-il pas faciliter l’activité missionnaire d’autres établissements confessionnels et, au nom du dialogue interreligieux, encourager les catholiques de quitter leur église ? Apparemment, Jean XXIII a su maîtriser la crise. Mais pouvait-il le faire seul, sans l’appui de quelque autre force sauf céleste ? Il ne faut pas perdre de vue que le moment du début du Concile coïncide avec l’avènement de John Kennedy qui devenait le premier président catholique des États-Unis.


Puis il y avait la construction du Mur de Berlin et la Première conférence de pays non-alignés à Belgrade. La crise cubaine suivait. L’empire soviétique contre-attaquait. La guerre froide était à un pas de se muer en guerre chaude. Entretemps, Nasser et Ben Bella font les yeux doux au Concile. On ne voit pas très clair pourquoi. Un pur désir d’affermir sa présence dans les forums internationaux (Ben Bella) ? De renforcer sa position par rapport à la Ligue Arabe (Nasser) ? Les deux sont étroitement liés à l’URSS. La réponse ne devait-elle pas être recherchée aussi de ce côté. Étaient-ils impliqués dans les préparatifs du rapprochement de l’URSS avec le Pape ? À l’époque l’URSS de Nikita Khrouchtchev n’a pas de rapports diplomatiques avec le Vatican. Mais celui-ci finira par envoyer son beau-fils Alexei Adjoubei à Rome pour y négocier avec le pape. Ceci provoque la « ire » des Américains et déplait sans-doute aussi à une partie du Bureau politique du Kremlin. Peu après le pape et le chef soviétique disparaissent de la scène politique : Jean XXIII meurt d’un cancer de l’estomac et Khrouchtchev est déchu du pouvoir. Mais au Vatican, les Américains restent les maîtres du jeu. Le successeur de Jean XXIII, Paul VI est étroitement lié à la CIA et les Américains n’hésiteront pas de se servir des bons offices du Vatican pour en finir avec le communisme.


En prenant en considération les circonstances politiques dans lequel se préparait et se déroulait le Concile, on ne peut ne pas constater que c’est dans le sens des intérêts américains que s’opère le tournant qu’il amorce. Dans ce cadre, les idées de réforme, de conciliation ou de dialogue interreligieux ne jouent qu’un rôle secondaire. Leur effet n’a qu’autant de poids qu’il correspond aux intérêts politiques américains qui l’utilisent systématiquement à des fins de propagande. L’église catholique peine d’en profiter. Les dogmes et les rites font toujours obstacle, surtout quand il s’agit de la mise en place du dialogue interreligieux. Celui-ci s’opère soit au sein des hautes sphères de la hiérarchie ou de celles du monde académique. D’habitude, lors de ces rencontres bien orchestrées, dont le commun des mortels est pratiquement exclu, les sujets pouvant provoquer des controverses sont contournés. Chaque partie confessionnelle expose son point de vue, mais ne cherche pas à discerner les similitudes ni à élever le débat au niveau philosophique qui se réfèrerait aux mythes et aux dogmes comme aux métaphores permettant ainsi la communication mutuelle. Le dialogue devient ainsi un enchaînement de monologues juxtaposés. On parle, certes, mais on reste cloitré dans les doctrines de sa propre communauté confessionnelle. Nul ne veut prendre le risque de perdre l’identité religieuse collective. Ainsi, faute d’esprits libres, libérés des dogmes et ouverts à l’échange des arguments spirituels, le dialogue ne reste qu’une chimère. Mais peut-être était-ce voulu exprès afin de mettre en place des communautés parallèles reposant sur des identités collectives antagonistes au lieu de l’établissement d’une société humaine, éclairée, solidaire, progressive et compacte ? La réponse devrait être recherchée au niveau des élites qui gèrent le destin du monde. Mais ceux-ci doivent être recherchés en dehors du Vatican, notamment de l’autre côté de l’Océan Atlantique…


Or, Claire Maligot n’était pas allé si loin. Ceci est à regretter car une approche critique des facteurs politiques dans l’histoire d’un tournant historique que représentait le Second concile du Vatican aurait certainement pu donner à son travail plus de consistance. Certes, la belle image du Concile pourrait être ternie et celle concernant l’activité des organisations religieuses non-chrétiennes aussi, car ce n’étaient pas eux mais les États-Unis qui menaient la dance. L’œcuménisme pourrait se voir dégradé au niveau d’une leurre et le dialogue interreligieux de celui d’un bluff. Mais tout ceci ne minimiserait pas l’importance de cet événement comme un tournant majeur dans l’histoire du XXème siècle. Claire Maligot l’a apprécié à juste titre et sa thèse devient incontournable pour toute recherche ultérieure dans le domaine de l’histoire du Concile et des relations interreligieuses.

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